Éric Clément, La Presse
Publié le 24 juillet 2021
L’Atelier circulaire, lieu chéri de Louis-Pierre Bougie, rend hommage au grand graveur québécois qui s’est éteint en janvier dernier. Noir de Bougie, exposition présentée jusqu’au 21 août, explore l’endurance et le génie artistique de Louis-Pierre Bougie à travers le regard de l’imprimeuse Paule Mainguy qui a souvent travaillé avec lui…
Le départ d’un artiste qui vous a touché, bouleversé et nourri par son âme et son talent est une véritable émotion pour l’amateur d’art comme pour le journaliste qui ont tenu sa régularité de création pour acquise.
La confusion née de la pandémie a rendu la mort de Louis-Pierre Bougie presque fictive. On le connaissait fragile, mais nous savions aussi combien il était résistant. Pourtant, il est parti le 10 janvier. Discrètement. Comme il a vécu. Dans l’ombre de son œuvre immense. Reconnue dans le monde entier par l’univers aussi foisonnant que feutré de la gravure.
Humanité bouleversante
L’hommage fraternel que l’Atelier circulaire lui rend rappelle combien son œuvre est bouleversante d’humanité. Combien ce marathonien de l’estampe fut totalement dévoué à son art. Mises en espace par le directeur artistique de l’Atelier, Gauthier Melin, les œuvres font partie de la collection de l’artiste sur laquelle veille sa nièce, Geneviève Bougie, qui était son assistante, sa commissaire, sa représentante et, avant tout, sa fidèle complice.
Les gravures n’ont pas toutes été créées à Montréal, mais toutes imprimées à l’Atelier circulaire que Bougie a cofondé en 1982 pour faire rayonner la gravure à Montréal et au-delà.
Admirer ses derniers dessins – créés de mai à octobre 2020 – est émouvant. Imprimés en lithographie, avec l’aide de Carlos Calado, coordonnateur à l’Atelier, ils sont associés à la poésie de Martine Audet.
Martine Audet et Louis-Pierre ont commencé à travailler ensemble avant qu’il ne soit hospitalisé. Quand il était à l’hôpital, ce projet l’a beaucoup aidé. Il a continué à dessiner à la mine de plomb presque jusqu’à la fin.
– Geneviève Bougie, fidèle complice de Louis-Pierre Bougie
La Presse a d’ailleurs pu parcourir le dernier carnet de dessins de Louis-Pierre Bougie. Des dessins exprimant encore et toujours son imagination sans limites, son sens de la gravité et cette éternelle fraîcheur dans l’expression des personnages.
L’œuvre Tourbillon
Bougie a touché à la lithographie dans les années 1970 puis 1990. On peut apprécier son coup de crayon avec Dormir sans pilule (1979), exposée à la maison de la culture Claude-Léveillé en 2019. Sa maîtrise des techniques s’illustre avec éloquence dans Tourbillon, une eau-forte de 1991 où il a utilisé une technique au pinceau avec un mordant – de l’acide – appliqué sur une plaque aquatintée avec de la résine. On appelle cette technique le spit bite, qui donne souvent un effet d’aquarelle.
« Cette œuvre Tourbillon, c’est la totale ! s’exclame Paule Mainguy. Vous avez un papier japonais, du burin, du spit bite et plusieurs plaques avec les couleurs rouge, noir et bleu. Tout un défi pour l’imprimeure ! C’est ce qui fait la richesse de l’œuvre. Sans parler de l’imagination du dessin. »
Plusieurs des œuvres narratives exposées ont été conçues à Paris, notamment la fameuse Course des garçons de café. « Dans ces œuvres, on sent un basculement, l’influence de l’atelier Lacourière-Frélaut et des artistes qu’il y a fréquentés », dit Geneviève Bougie. Des estampes ont été à l’époque imprimées par François-Xavier Marange, graveur français venu s’installer au Québec en 1984 à l’invitation de Bougie.
Les bousculés
Avec la grande plaque des Bousculés – une de ses dernières de cette taille –, on constate avec quelle énergie, quelle force, quelle volonté et quel doigté Louis-Pierre Bougie maniait le burin. « Ça demande un travail énorme, car c’est la technique la plus difficile en taille-douce, dit Gauthier Melin. L’œuvre montre la virtuosité du geste de Louis-Pierre avec un outil difficile à maîtriser. »
Un documentaire de Bruno Baillargeon sur Louis-Pierre Bougie est diffusé dans la salle. On en avait vu un extrait au 1700, La Poste, lors de la rétrospective envoûtante que lui avait consacrée sa fondatrice, Isabelle de Mévius, en 2013. L’exposition est accompagnée d’une page web sur laquelle sont consignés des hommages de membres de l’Atelier circulaire à Louis-Pierre Bougie.
L’héritage de Bougie sera honoré dès 2022 par un prix annuel Louis-Pierre Bougie que l’Atelier circulaire remettra à un ou une artiste de la relève dans le cadre d’un programme d’une résidence d’un an. « Pour faire perdurer sa mémoire, dit Gauthier Melin. Chaque lauréat ou lauréate recevra une œuvre de Louis-Pierre Bougie remise par Geneviève Bougie. Et ce, grâce à de généreux donateurs de l’Atelier circulaire. »